Les réseaux sociaux ne sont pas seulement des formidables moyens de trouver des amis, un cœur libre ou un job. Ils sont aussi des outils qui transforment profondément nos comportements politiques et sont en train de faire exploser la démocratie. La victoire hallucinante du mouvement 5 étoiles (M5S) en Italie – la Silicon Valley du populisme numérique européen, la jacquerie des Gilets jaunes, ne sont que les débuts du chaos. Le livre de Giulano da Empoli « Les ingénieurs du chaos » raconte comment les réseaux sociaux sont en train de changer la nature même de la démocratie. Il est encore temps de se réveiller.
Comment les réseaux sociaux exploitent la vulnérabilité du cerveau de vos enfants (Dixit le CEO de Facebook !)
Les repentis sont souvent les meilleurs hackers des systèmes qu’ils ont contribué à créer. Sean Parker, l’ancien président de Facebook qui l’avait rejoint en 2004, moins d’un an après sa création déclarait ceci en 2017 à propos du bouton « J’aime » :
» Nous devons vous donner en quelque sorte une petite dose de dopamine de temps en temps, parce que quelqu’un a aimé ou commenté une photo, un message ou quoi que ce soit »
« C’est une boucle de rétroaction de validation sociale … exactement le genre de chose qu’un pirate informatique comme moi proposerait, parce que vous exploitez une vulnérabilité de la psychologie humaine. »
« Les inventeurs, les créateurs, c’est moi, c’est Mark [Zuckerberg], c’est Kevin Systrom d’Instagram, c’est tous ces gens – qui ont compris cela consciemment… Et nous l’avons fait quand même. »
« Cela change littéralement votre relation avec la société, les uns avec les autres. Cela nuit probablement à la productivité de façon étrange. Dieu seul sait ce que cela fait au cerveau de nos enfants »
Sean Parker créateur de Napster est le type qui a fait passer Facebook d’un projet de collège à une Global Company ; il a estimé que son passage chez The Facebook (qu’il a rebaptisé Facebook) a contribué à ce que la valeur nette de l’actif dépasse les 2,6 milliards de dollars.
Roger McNamee, un investisseur de Facebook et Google, déclarait au Guardian :
« Les personnes qui gèrent Facebook et Google sont de bonnes personnes, dont les stratégies bien intentionnées ont eu d’horribles conséquences inattendues … Le problème est qu’il n’existe aucune entreprise pour remédier a ces préjudices à moins qu’ils abandonnent leurs modèles de publicité actuels. »
Vous exercez une pression sur votre smartphone 2617 fois par jour a calculé DScout… (source) Votre vie a donc singulièrement changé depuis la création de l’iPhone par Apple il y a près de 13 ans.
Juste une application par session ? Laisse-moi deviner… oui c’est Facebook.
Le nombre de L6 / 7, un acronyme utilisé par FN pour désigner ceux qui se connectent 6 jours sur 7, est bien gardé. Sur 2,31 milliards de MAU (Monthly Active Users) le 31 décembre 2018 on compte environ 1,47 milliard de DAU (Daily Active Users) (source)
Vous avez donc dans votre poche, sur votre table de chevet ou sous votre oreiller… un petit bouton, il vous permet d’accéder à Facebook, tiens voici un ami en colère, mais il a raison le bougre ! croisez cela avec le RIC que réclame le peuple et toutes les frustrations mise en colère et vous avez de quoi faire péter la démocratie ! J’exagère ? Pas vraiment.
Buzz et dopamine
Les messages contagieux des réseaux sociaux sécrètent de la dopamine dans notre cerveau. Pas parce que notre cerveau reconnait une situation prédite et y trouverait de la satisfaction comme on le croyait jusque-là mais parce que notre cerveau aime être surpris pas des événements nouveaux pour ne pas s’ennuyer, c’est juste une question de dopamine : un neurotransmetteur (messager chimique du cerveau) associé à la notion de plaisir.
Un tweet énervé de Donald Trump ou d’un gilet jaune tout seul devant son écran (Hey world !), une bombasse, ou une bagarre de rue, une info in-croy-able ! (mais fausse)… toutes les situations stressantes, angoissantes, violentes, qui éveillent le désir ou la curiosité par leur incongruité attirent plus de like que les programmes en 12 points d’un politique pour sauver la république, les longs article de 10 pages comme celui-ci (allez encore un effort !), la collecte pour aider son prochain, un très bon cours sur Kant à la Sorbonne en vidéo, ou les méthodes fastidieuses pour sortir son enfant de la drogue des réseaux sociaux en commençant à leur parler… avant de chercher la meilleur crèche pour qu’ils rentrent un jour à HEC !
Chacun de nous a besoin de l’approbation sociale d’autrui pour se construire, pour changer, pour éprouver de la joie de vivre, l’impression de servir à quelque chose et à quelqu’un est au cœur du désir de vivre de l’animal social humain. Le plus intéressant est que ce n’est pas votre activité sur Facebook qui vous en rend accro mais ce que vous imaginez que ressentent les autres quand vous likez ou postez…
Des neuropsychologues de l’UCLA ont étudié le buzz (voir ici). Et ils ont découvert que la zone région du cerveau appelée jonction temporopariétale (TPJ) était associée à une capacité accrue de convaincre les autres d’adhérer à nos idées préférées. Ces recherches montrent que le plus important est de penser à ce qui plaît aux autres. C’est ce qui fait que dès que vous entendez une bonne blague, vous vous demandez : » À qui je vais bien pouvoir la raconter ? » En étudiant l’activité neuronale on peut donc potentiellement prédire quelles publicités ou les messages qui sont les plus susceptibles de se propager et de devenir viraux.
C’est aussi pour cela qu’on trouve de nombreux ados se retrouvent aux urgences psychiatriques (sinon pire) après une tentative de suicide à cause du lynchage sur les réseaux sociaux… à l’adolescence c’est-à-dire à l’âge où la personnalité et l’estime de soi se construisent de manière malléable et où la mort n’est pas encore vécue dans sa réalité brutale comme la comprend un adulte.
« Un mensonge peut faire le tour de la terre le temps que la vérité mette ses chaussures. » Samuel Langhorne Clemens, dit Mark Twain.
Les messages à forte intensité émotionnelle adressés à des sujets frustrés sont ceux qui ont la plus grande probabilité de déclencher une réaction et une contamination par like et partage…
Les sites pornos hyper addictifs ou les sites conspirationnistes qui expliquent qui sont « les vrais » responsables de tous vos problèmes (les arabes, les juifs, les francs-maçons, les homos, Georges Soros, Jacques Attali, Rothschild ou Hillary Clinton…) avec un nouveau coupable tous les jours et une nouvelle « vérité alternative » ; les tweet clownesques du Barnum Circus de Donald Trump sur le Little Rocket de Corée du Nord ou le mexicains qui vont bientôt se heurter à un mur, sont donc les plus visités et obtiennent le plus fort taux de retour, la plus grande stickiness, ce qu’on appelle aussi l’engagement.
Une étude du MIT parue l’an dernier (voir ici) menée entre 2006 et 2017 montre que les fausses nouvelles sur Twitter ont 70% de fois plus de chance d’être retwittées que les vraies informations. Sur 126 000 rumeurs propagées par environ 3 millions de personnes, les 1% de fausses nouvelles en cascade touchaient entre 1 000 et 100 000 personnes, alors que les vraies se diffusaient rarement à plus de 1 000 personnes. Le degré de nouveauté et les réactions émotionnelles des destinataires sont responsables de cette différence observée.
Car comme le notent les chercheurs du MIT :
» Les fausses nouvelles étaient, de manière significative, plus originales que la vérité, en exhibant une unicité d’information nettement plus importante »
Le plus inquiétant est que les fake news et les théories du complot ont de plus en plus d’emprise sur la vie politique des français comme le montrent les enquêtes régulièrement menées par la Fondation Jean-Jaurès et Conspiracy Watch: 28 % des 18-24 ans adhèrent à 5 théories ou plus, contre seulement 9 % des 65 ans et plus. (source)
Ce phénomène est bien sur mondial. Facebook est terrorisé par ce phénomène qui lui échappe. Ainsi, Facebook vient de lancer une ligne de contrôle des informations des utilisateurs en Inde avant les élections dans le pays. On peut s’offusquer des bulles affinitaires et de la communication ciblée des réseaux sociaux, mais ne sont-ils pas la forme moderne et en temps réel du bon vieux clientélisme qui n’a jamais hésité devant les fausses promesses ?
Le mélange de complotisme, de fake news, de réseaux sociaux semble bien plus efficace que les couvertures de magazines et les sondages plus ou moins fiables et surtout pas en temps réel pour faire arriver au pouvoir des candidats populistes eux-même simples avatars d’algorithmes au service des passions plébéiennes fugaces sans aucune idée politique au service de la communauté et de sa survie à long terme.
Sans compter toutes les demi-vérités qui permettent de rebondir à l’infini : « elle est dead la meuf »… ou elle est « morte », ajoutez un peu de Shoah, ou de conspirationnisme et de Shoah (Dieudonné) et le Point Godwin[1] de reductio ad Hitlerum de l’adversaire est atteint relativement rapidement.
Les réseaux sociaux, nouveaux territoires de médias inconnus des élites ne pouvaient que devenir le lieu de la fédération des colères contre le politiquement correct d’élites hors-sol et déconnectée du terrain à Paris, Washington, Rome, Londres ou Brasilia. Cela Les ingénieurs du chaos l’ont compris avant tout le monde.
Les ingénieurs du chaos populiste aux US
Le nouveau livre de Giuliano Da Empoli, Les ingénieurs du chaos, met en lumière les coulisses d’Arthur Finkelstein et d’autres stratèges populistes. Ce sont eux qui (avec l’aide de la Russie) ont transformé les véritables colères populaires en victoires électorales.
Pour Finkelstein, le choix du « bon ennemi », prenons la famille Clinton par exemple, présenté comme une explication simple à tous les maux, destructeur potentiel de la paix et du mode de vie séculaire était plus important que de choisir un bon candidat.
Dans un de ses seuls témoignages prononcé à l’obscur Institut Cevro de Prague en 2011 Finkelstein y prédit l’avenir politique.
Le fait nouveau qui est le vrai moteur du populisme n’est pas Facebook ou le télé-réalité d’où vient Donald Trump et dont il a appliqué toutes les recettes face à des candidats sortis d’une mauvaise série B mais la « trahison des élites ».
L’homme riche du 21ème siècle (en dehors de Donald Trump ! :))ne se soucie pas de la plèbe comme l’évergète romain ou le chevalier du Moyen Age qui défendait la veuve et l’orphelin. Il vit tranquillement sans se soucier d’autrui ou de l’intérêt général tant qu’ils n’affectent pas ses affaires, et, soi-dit en passant, ceux qui se moquaient du capitalisme social de type Michelin soit disant paternaliste vont bientôt le regretter.
La montée de la fragmentation sociale et de l’insécurité culturelle face à l’avenir globalisé n’a pas été comprise par les élites des cotes est et ouest qui voyaient l’horizon sur l’océan et appelaient les autres les « fly-overs » les survolés. Les stratèges de Trump issus de l’école Finkelstein ont vite compris que le meilleur moyen pour un type sorti, lui- aussi ! de l’establishment de NYC pour s’imposer était de briser le politiquement correct de ses adversaires, des politiques incolores gonflés par des spin doctors de la communication. Trump dans son émission The apprentice avait l’habitude de parler à des millions de gens en live, il a donc joué son propre rôle comme dans un jeu de téléréalité opposant le « peuple » supposé aux élites, à la vitesse non plus des réunions politiques ou des show TV mais en temps réel sur Twiter. Le « mérite historique » de Trump, selon Da Empoli, a été de comprendre que les campagnes électorales étaient des émissions de télé-réalité « très médiocres », « produites par des dilettantes et peuplées de personnalités tristes sans vies. . . des acteurs de série B, le mauvais Clinton, le mauvais Bush ».
Le deuxième ressort de Trump a été la violence verbale sur les réseaux sociaux. Ses adversaires ne pensaient pas que Trump traiterait de « lâche » les vétérans comme John McCain, insulterait les femmes ou les journalistes… Tout ce qui ne se faisait pas jusque là dans un monde politiquement correct. Mais les moyens de la classe se sont amusés puis épris de ce mauvais garçon qui disait des énormités, et tout le monde a commencé à penser tout bas et à répéter en boucle ce ressentiment collectif sur Facebook. Un phénomène accéléré par des campagnes micro ciblées (CF. l’affaire Cambridge Analytica). Au moins ce gars ne leur parlait pas de thèmes de bobo mais de leurs jobs et de l’avenir de leurs enfants, de tousleurs enfants ! Un soit disant ‘peuple’ en colère dont les adversaires étaient exclus! Et ce sont les démocrates, comme dans The apprentice qui ont été « virés » (you’re fired, la phrase fétiche de DT dans The apprentice)
Ce phénomène de rejet violent des premiers de la classe, de fédération du ressentiment via les réseaux sociaux et d’opposition du soit disant « peuple » aux élites fonctionne partout dans le monde en France, au Brésil, en Italie, en Angleterre, en Hongrie…
Pour Giuliano Da Empoli c’est la figure du carnaval et de son inversion des valeurs ou le prince devient manant et le puissant un mendiant, le bon un mauvais, le truand un saint… canalisant ainsi pour un jour la colère populaire, qui est le modèle du populisme. Sauf que là c’est tous les jours carnaval et en temps réel.
Les « élus » populistes sont sélectionnés non pour leurs compétences en matière de gouvernement, mais uniquement pour leur capacité à susciter l’engagement. C’est pourquoi nombre d’entre eux – Beppe Grillo, Boris Johnson, Trump – proviennent des industries du divertissement. Ils sont des troll des algorithmes et de la data.
Selon les mots de Finkelstein,
« Le type qui dit : » J’ai un plan en sept points pour redresser le système de pensions » sera vaincu par « Le type qui dit: » Jetez-les! Débarrassez-vous d’eux ”».
Il suffit non plus de faire adhérer les électeurs à un programme indigeste mais de fédérer leurs peurs de manière micro adressée sur Internet.
Et le pire est que les partis traditionnels ont assez vite compris la leçon des populistes. Les démocrates sont assez bien partis pour le prochaine présidentielle avec un ennemi idéal à diaboliser : Donald Trump.
Facebook catalyseur de la colère anti-establishment et du vide ambiant en Europe
La montée en puissance des réseaux sociaux (aujourd’hui il est difficile de trouver un emploi ou d’être dans une grande école d’ingénieur sans un compte FB) fédère les micro communautés en colère, de droite ou de gauche et surtout « de rien » contre les classes dirigeantes : politique, patronale et des médias.
Le recul de la confiance dans la politique, l’Europe, les journalistes, le capitalisme et les patrons…, dans les vieilles Social-démocraties ou démocraties- chrétiennes européenne- comme on voudra ! la réelle déconnexion des élites globalisées de Bruxelle face à la réalité vécue par la « France périphérique »… offre autant d’ennemis réels ou imaginaires forcément corrompus, prédateurs, menteurs, maniaques sexuels, hyper narcissiques, autistes, représentants de la ploutocratie ou de l’oligarchie…
Et parfois cette solitude des élites est tout à fait réelle et comme le montre l’excellent Silvio et les autres :
Nous reviendrons sur l’Italie mère de tous les innovations politiques européennes. Ce qu’il faut retenir c’est que les médias sociaux se sont adaptés à la balkanisation sociale et au sentiment d’abandon réel ou supposé contemporain avec des messages précis adressés à chaque typologie de ‘clients’ et des contenus de proximité UGC (User Generated Content) mis en réseau viral de manière exponentielle.
Le mouvement des gilets jaunes en France a consacré l’alliance des frustrations (souvent justifiées, comment vivre avec 1200 euros par mois et 3 enfants ?) d’extrême droite ou gauche, de la France périphérique des villes ou des campagnes a démontré en live la thèse passée inaperçue de Guy Standing (bien que traduit dans 19 langues !) dans « The Precariat: The New Dangerous Class » paru en 2011.
Le pércariat ou l’alliance objective des déclassés : de la femme seule avec trois enfant dans son HLM, du chômeur de longue durée, du jeune des cités tenté par l’islamisme, des couples avec des poor jobs qui n’arrivent plus à joindre les deux bouts, de l’agriculteur au bout du rouleau… un « précariat » de personnes qui sans Internet ne se serait jamais rencontrées.
« Il y a 40 % de précaires en France… L’insécurité économique et sociale vont faire exploser notre monde » (Guy Standing)
Tout a commencé en ligne. En quelques semaine une pétition lancée fin mai 2018 « Pour une Baisse des Prix du Carburant à la Pompe ! » émise par Priscillia Ludosky une ancienne employée de banque devenue auto-entrepreneuse dans la vente de produits cosmétiques, un appel comme il en naît et meurt des milliers chaque semaines sur FB a cristallisé la colère de 2,5 millions d’internautes en janvier 2019, quand la page la page Facebook d’Emmanuel Macron plafonnait, elle, à 2,4 millions.
Un pur phénomène numérique qui s’est ensuite répandu sur les ronds-points et sur la « plus belle avenue du monde ». Un modèle participatif sans leader, le « Peuple en Colère » contre l’establishment journalistique, politique ou bancaire… une révolution sur le modèle des Beppe Grillo et du mouvement 5 étoiles en Italie, de l’Amérique déclassée de Trump, des partisans du Brexit aux UK ou de la victoire au Brésil de Bolsonaro. Des mouvements qui ont tous prospéré sur la colère grâce aux réseau sociaux : à Facebook ou en achetant des numéros de téléphone WhatsApp pour Bolsonaro. Des mouvements sociaux qui ont fédéré les multiples colères en les accélérant avec des messages ciblés adressés de manière personnalisée grâce à la data comme on l’a vu avec le scandale Cambridge Analytica.
200 faux comptes alimentés par des russes produisaient 1600 tweets par jour affirme le NY Times le 08 décembre 2018. (source). Un spectre d’intervention russe sur les réseaux sociaux qu’on retrouve dans le Brexit selon Facebook
Evidemment le mouvement des gilets jaunes n’aurait pas été possible sans les fake news en ligne comme l’a montré le récent rapport de l’ONG Avaaz (démocrate). les fausses informations ont atteint les 105 millions de vues sur Facebook, entre le 1er novembre 2018 et le 6 mars 2019. 30 fakes ont dépassé le million de vues. La photo de gilets jaunes sur les Champs-Élysées, prétendument censurée par Facebook (350.000 partages, 9 millions de vues), Facebook, l’arroseur arrosé.
La révolution en ligne n’a rien donné d’autre de concret que des explosions de colère et il n’est pas sûr que sa canalisation dans un Grand Débat assez conforme à l’ancien monde, émerge autre chose que la volonté de voter en temps réel sur les réseaux sociaux (RIC) et la haine de toute autorité jugée comme une nouvelle arnaque. Le Brexit dirigé contre les élites de Londres n’a pas produit une nouvelle Angleterre mais le chaos.
Le mouvement des Gilets jaunes a montré la soif de solidarité l’impression de solitude et de déréliction culturelle locale de la globalisation technico-économique. Les ronds points étaient finalement une forme d’organisation politique primitive, une poétique de l’espace post industriel globalisé, sans « centre social » en dehors des centres-commerciaux, des recompositions de lieu de rencontre des gens de la rue que les politiques traditionnels n’avaient pas su investir. La moitié de la population française vit dans des villes dont le centre social a été désertifié par des centres commerciaux de la périphérie. A Carcassonne ou Perpignan les gens disent » la ville a fermé « .
La désintégration du politique se cristallise dans l’Europe qu’on a fait avaler aux populations malgré leur refus massif du 29 mai 2005. Peut-on créer une identité en accueillant toutes les identités ? Quid de la maison Europe qu’on nous vend quand « le Global c’est le local sans les murs » et que la globalisation techno économique a conduit à une somme de micro communautés culturelles et à la balkanisation politique ? Qui est prêt à mourir pour ce gigantesque échec politique qu’est devenue l’Europe ? pour Sarajevo ou la Lituanie ? Que valent des lois qui n’étant pas édictées par le peuple deviennent juste une communauté de normes comme le souligne, très justement Régis Debray dans son dernier livre :
« L’Union Européenne est une locomotive sans wagons » (Hubert Védrine) … « le pékin s’en fout, et les élections européennes, c’est en réalité un sondage d’opinion grandeur nature, à usage domestique, et qui n’intéresse que les professionnels, politiciens et médias. » -(Régis Debray) [2]
L’addition des colères de micro communautés en ligne qui se fédèrent ne constate que ce qui fait mal (tout le monde est contre les impôts) et rarement ce qui va bien ou mieux, des sujets de bonheur qui n’ont aucune chance de se développer de manière virale (en dehors des images de chats). La somme des frustrations ne peut en aucun cas faire un programme. On peut difficilement être contre les impôts et ne pas vouloir attendre aux urgences à l’hôpital, avoir plus de police et de sécurité et des classes de 20 élèves… Il est donc très difficile sinon impossible d’établir un programme d’actions à partir de la seule rumeur et de l’exaspération en ligne.
Il est donc très difficile sinon impossible d’établir un programme d’actions à partir de la seul rumeur et de l’exaspération en ligne.
La recette du populisme digital marche. Il a suffit d’une simple web agency spécialisée dans la data et d’un bouffon pour pouvoir capter 25% des voix (score jamais vu !) d’un pays comme l’Italie la cinquième puissance économique mondiale, avec 163 parlementaires fantômes qui livrent au manipulateur en chef digital les login et password d’un blog sans lequel ils n’existeraient pas et qui parle à leur place.
L’Italie Silicon Valley du populisme européen
Depuis la Rome de l’Antiquité en passant par les factions des républiques médiévales en lutte les italiens sont des animaux politiques. Selon Giulinao da Empoli ils sont même la Silicon Valley de la politique européenne. « L’invention du fascisme », « le plus grand parti communiste d’Europe occidental devenant ainsi le théâtre privilégié des tensions de la guerre froide» ont été les plus vertigineuses de ces innovations au 20 ème siècle.
L’Italie est donc « la mère de toutes les batailles ». Steve Bannon, le mauvais génie de Trump, rêve désormais de combattre le parti de Davos et les élites globales en Europe. C’est donc là qu’il a lancé à 120 kilomètres de Rome une université pour les nationalistes européens il y a un mois, pour « régénérer l’Occident judéo-chrétien ».
Des partis d’extrême droite existent dans toute l’Europe mais pas au point d’être majoritaires. Le mouvement 5 étoiles, profitant de la chute de Berlusconi pour scandales sexuels a fédéré tous les bords politiques jusqu’aux plus extrêmes en attisant la colère. Un alliage du marketing froid et de la bête de scène. du bouffon Beppe Grillo et du data scientist passé chez Olivetti : Gianroberto Casallegio (photo).
Populisme et algorithmie on accouché à ce moment d’une machine redoutable explique Giulino da Empoli, « les collaborateurs de Casaleggio Associati sélectionnent chaque jour les dix commentaires les plus intéressants postés sur le site » Gianroberto écrit alors sur le blog au nom de Grillo unique auteur visible.
Depuis 2005 cette technique de plus en plus raffinée a surfé sur le ressentiment contre l’establishment politique et financier. Le million de commentaire est atteint en 2007. Le Vaffanculo Day est lancé en 2007 « anniversaire de l’armistice et de la capitulation face au alliés ». Le mouvement n’est pas un parti politique mais un blog… qui va renverser tous les partis traditionnels et conquérir l’Italie : 9 millions de voix, 25% des suffrages en 2013 pour le couple Grillo-Casaleggio. Les journalistes ennemis du mouvement sont nommément désignés à la vindicte plébéienne dans la rubrique « le journaliste du jour ».
Un mouvement ni de droite ni de gauche, un parti « anti-système» qui opère un syncrétisme des positions de gauche (écologie) et de droite (sur l’immigration). Une fidélité sans faille est requise de ses collaborateurs à l’algorithme des sondages en ligne qui définit la ligne politique. Avec une logique d’exclusion violente : « Un doute pas de doute ! » disait Casaleggio. Un parti dans lequel la guerre à mort pour posséder les données sur la vie privée des « adhérents » et devenu la règle comme l’a dénoncé Nicola Biondo ancien dir com’ du mouvement et Marco Canestrari ancien bras droit de Casaleggio décédé en 2016 (rassurez-vous, son fils Davide a repris les commandes).
https://www.linkedin.com/embeds/publishingEmbed.html?articleId=8345185375831449203Cette technique permet de faire élire en 2016 Virginia Elena Raggi une avocate inconnue comme maire de Rome , la suite de la destitution du précédent pour une série de scandales.
Avec environ 32 % des voix, le mouvement 5 étoiles devance largement les autres partis politiques aux élections générales italiennes de 2018 ; il forme alors un gouvernement de coalition avec la Ligue du Nord dirigé par l’indépendant Giuseppe Conte.
Tous ne sont que de simples avatars du mouvement de « démocratie digitale » comme se présente la plate-forme informatique Rousseau qui appartient à Davide Casaleggio, président unique et à vie d’après les statuts et association qui prélève 300 € par mois aux élus du mouvement. Sur cette plate-forme sont gérés toutes les données personnelles des adhérents et leurs votes (choix politiques, candidats). Davide Casaleggio qui a relégué Grillo à la marge comme simple avatar tout comme le sont « le nouveau président du Conseil, Mister Conte, le leader provisoire du mouvement Luigi di Maio… » facilement remplaçables et limités à deux mandats.
On est donc arrivé à la démocratie virtuelle, une démocratie directe dans laquelle les élections se font sans médiations par des processus consultatifs permanents alors que la gestion de la colère et des invectives devient le fonctionnement politique normal. Une sorte de PageRank populiste.
L’Ochlocratie, avenir de la démocratie digitale ?
On se rappelle que chez Aristote la démocratie est le régime du peuple mais que ce régime peut verser dans l’anarchie lorsque les démagogues prennent le pouvoir. Mais ce qui nous arrive était déjà connu des grecs.
Mais nous sommes plus probablement en train de passer en ochlocratie un régime politique dans lequel la foule (okhlos) la populace versatile et passionnelle a le pouvoir d’imposer sa volonté. L’ochlocratie ou quand la démocratie dégénère en chaos politique et en lutte quotidienne entre les individus et que règne la force. Polybe de Mégalopolis au second siècle avant notre ère (que relira Machiavel) décrit un cycle en six phases qui fait basculer la monarchie dans la tyrannie, à laquelle fait suite l’aristocratie qui se dégrade en oligarchie, puis de nouveau en démocratie tentant de remédier à l’oligarchie, avant de sombrer dans le pire des régimes : l’ochlocratie. Il ne reste plus alors qu’à attendre l’homme providentiel qui reconduira à la monarchie (source)
[1] La loi de Godwin est une règle empirique énoncée en 1990 par Mike Godwin, d’abord relative au réseau Usenet, puis étendue à l’Internet : « Plus une discussion en ligne dure longtemps, plus la probabilité d’y trouver une comparaison impliquant les nazis ou Adolf Hitler s’approche de 1. » (source)
[2] http://premium.lefigaro.fr/vox/societe/2019/03/29/31003-20190329ARTFIG00111-regis-debray-a-force-de-vouloir-accueillir-toutes-les-identites-l-europe-n-a-plus-d-identite.php