Amazon via AWS détient 31% de part de marché du cloud mondial, c’est-à-dire plus que ses 4 principaux challengers réunis (Microsoft : 9%, IBM : 7%, Google : 4% et Sales force : 4%) [1], son émergence n’est qu’une étape de ce que l’économiste autrichien Joseph Alois Schumpeter (1883-1950) a appelé la « Civilisation du Capitalisme ». Cette civilisation a vu émerger un développement durable en interactions entre l’économie de marché et la démocratie. Quelques réflexions.
C’est drôle, quand on regarde 16 ans en arrière, ces années semblent un millénaire à l’âge digital… mais si nous nous penchons sur ce qui s’est passé il y a un millénaire ça nous semble hier. J’ai conçu fnac.com en 1999, lancé en novembre de cette année où Amazon a débarqué en France… une éternité à l’âge digital !
Il y a 16 ans : Y2K !
En août 1995 celui qui allait devenir en avril 2000 le CEO de la Fnac, mon ami Jean-Paul Giraud s’enquit de visiter Jeff Bezos à Seattle.
Jean-Paul Giraud et Didier Long, Taybeh-Ephraïm, West Bank, 2010
En 1995 Amazon venait de naître. La compagnie ne comptait à l’époque que quelques dizaines d’employés. Bezos, hillare, reçut Jean-Paul dans son petit entrepôt de Seattle, avec déjà sa calvitie, son air en permanence concentré parfois interrompu d’un immense rire exubérant avec ces mots :
« Je suis un ancien trader et je compte acheter et vendre tout ce qui est ‘comoditisable’ (standardisable), des livres et CD, mais pas seulement… ».
Jean-Paul n’en croyait pas ses yeux. Pourquoi les livres ? parceque pour l’ancien trader de Desco ils étaient des biens parfaitement standardisés et identifiables. Chez Desco, un hedge fund mené par Davis H. Shaw, un ancien prof de math de Columbia, Bezos avait appris comment exploiter des ordinateurs et des formules de math complexes pour tirer parti des écarts de prix d’action entre le Etats-Unis et l’Europe par exemple. Il était fondamentalement non pas un trader de Wall Street mais un expert des marchés financiers et de leurs mécaniques. Depuis, il avait déménagé et installé son entreprise à Seattle pour des raisons de pression fiscale moindre. Dés son retour, Jean-Paul décida de lancer Fnac.fr que la Fnac ouvrit en janvier 1997.
En 2000, l’e-commerce avait 5 ans, Bezos en avait 35 , il fut consacré Person of the year par le Time fin 1999. Amazon était né 5 ans auparavant seulement comme une librairie en ligne, avait déjà convaincu 14 millions de clients en 1999, pour 1,43 md€ (1,64 bn$) de chiffre d’affaire à une époque où l’on parlait encore en francs. La Fnac, elle réalisait 2,13 md€ pour une rentabilité opérationnelle de 4,5% à 50 M€ en 1999… Début 1999 Bezos avait ajouté sans rien y connaitre les jouets et l’électronique à son site qui avait commencé par une page avec une série de liens. Il s’agissait de bouger.
Je conçus fnac.com, directeur de projet je conçus l’expérience utilisateur, écrivais les cahiers de charges, les premiers plannings de dév’ sous Project ! mon associé actuelle Claire était directrice de la production! On était toute une team : Christophe Tricaud, Benjamin Pardo, Claire Gourlier, Erwan Lageat, Sandrine Ibanez, Stéphanie Keszey, Emmanuel, Pascal … ! Sans compter tous ceux de la fnac rebaptisée fnac.com, dont Jean-Christophe Herman qui devint PDG de la nouvelle spin-off à Aubervilliers en 1999, en cas d’entrée en bourse de la « Web Business Unit » de l’ entreprise ! En route vers l’IPO ! … une équipe de fondus tous un peu misfits, les meilleurs années de notre vie. Notre idée était qu’on ne devait vendre pas seulement des livres et des CD mais l’Artiste, LA musique. On était face à des oeuvres de l’esprit et pas des simples biens de consommation sur une market place. Quand quelqu’un taperait Madonna il devrait aussi accéder à sa bio, les livres d’elle et sur elle, des films, de la billetterie de concert, des happening en magasins, obtenir une photo dédicacée… On passait des heures à parler d’ergonomie, de navigation locale et générale (j’avais conçu des CDRom, dont la Bible pour le groupe Télérama), parfois on avait une « bonne idée » (up selling, cross selling, filtrage collaboratif, commentaires des lecteurs…) , et on s’apercevait qu’Amazon l’avait eu avant nous. Rappelez vous c’était l’époque de BOL Books online de Bertelsmann ! et Netscape…
Suite à cela, en ce 1er janvier 2000, moi, j’étais devenu consultant chez McKinsey au moment où tous les consultants sortis de l’X et Harvard filaient vers les start-ups réaliser d’improbables fortunes en se faisant payer en equity.
Neil qui nous avait embauché disait : » C’est la ruée vers l’or, nous on ne cherche pas de pépites (start-up) on fournit les pelles et les pioches ! business as usual «
En réalité le Dot Com Crack se profilait déjà après la bulle. En juin 2000 la star du crédit aux entreprises chez Lehman Brothers affirma qu’Amazon.com était à cours de liquidité… incapable de rembourser sa dette à moins d’un an ! Et un plan de réduction des coûts ne servirait à rien face au cash burn rate (c’était le grand indicateur de l’époque) rien qu’en supply chain. « Foutaise » répliqua Amazon. Tine c’est vrai ils deviennent quoi Lehman Brothers. Voyons sur quoi pointe leur URL : http://www.lehmann-brothers.com/ (essayez c’est drôle)
Pendant ce temps, le petit monde de la High tech en Europe, lui, se fichait bien d’Amazon ou Google (trop petits par rapport aux budgets SAP !)… tout le monde était d’astreinte pour une fantastique farce : le bug de l’an 2000 ! né au départ de la croyance de survivalistes US résumée par le magazine Forbes en mai 1998 :
« Quand l’horloge affichera 2000, le pays sera à court d’électricité, les trains ne rouleront plus, les banques s’effondreront et des hordes de citadins chercheront de la nourriture »
Les fondamentalismes qui marchent ont souvent des formules simples, la croyance se propagea à toute la société comme un nouveau millénarisme apocalyptique. En France, le gouvernement Jospin, visionnaire, installa dès février 98 la mission « passage informatique à l’an 2000 », on mit à sa tête Gérard Théry, le père du minitel, sommité des télécoms de l’époque, le citoyen pouvait dormir tranquille… et rien n’arriva. Bezos perdit du cash dans le Dot Com Crack et pas mal d’employés affolés de voir leur fortune en equity divisée par 10 mais il persista dans son idée. Il est aujourd’hui la 5ème fortune de la planète (52, 4 milliards, source Forbes) et Amazon est en 2015… la marque préférée des français.
Moi j’avais conçu fnac.com en 1999 qui avait ouvert le même jour de novembre qu’Amazon en France; En 2000 j’étais en Silicon valley et montait des « accélérateurs » pour Mckinsey et surtout des market places capables de trader des diamants à Anvers, du voyage à Londres ou du béton et des produits de construction en France… Dans une lointaine vie avant d’être un « chevalier de la firme », j’ai été moine, cloîtré en silence à l’Abbaye de la Pierre Qui Vire, en Bourgogne. J’avais alors eu tout le loisirs pour comprendre comment étaient nées les premières world companies européennes, Cluny et Cîteaux, en Bourgogne-Champagne… au XIIème siècle. Et pourquoi Bezos avait raison. Amazon en est un avatar lointain.
15 ans plus tard, Amazon a réalisé en 2015 un chiffre d’affaire de 107 md$, en hausse de 20% par rapport à 2014 pour un résultat opérationnel de 2,2 md$; et la fnac un CA de 3, 9 md€ pour un résultat opérationnel de 1,96% à 75, 7 M€, d’où l’opération avec Darty. la firme de Seattle sert 300 millions de clients dans le monde. Les Etats-Unis et le Canada croissent de 25% pour représenter 59,5% de l’activité, l’international 33,1%. AWS sur lequel nsou allons nous focaliser bientôt représente les 7,4% restant à 7,88 md$ pour une croissance de 69%.
Le Dot Com Crack de 2001 faillit être fatal à Bezos mais il persévéra et ses actionnaires le suivirent (dont ses parents! qui avait misé sur lui 100 000 dollars« Nous avons lu le business plan et, franchement tout cela nous a un peu dépassés. Peu importe su cela sonne un peu vieillot, mais nous avons tout misé sur Jeff » rapporte sa mère dans Amazon, la boutique à tout vendre de Brad Stone ) . Il n’y avait pas d’évidence à l’époque au vu de l’endettement d’Amazon. Moi je quittais McKinsey avec Claire, mon associée qui avait codé fnac.com comme directrice de production chez Nurun et que Mckinsey avait embauché. La Firme abandonnait la partie du digital et nous fondions Euclyd un cabinet de conseil d’experts en digital en réseau pour une guerre que nous savions désormais asymétrique, du faible au fort. Nous étions persuadés que le digital toucherait toute l’économie, et après le Dot Com Crack et le 11 septembre 2001, tout le monde nous prenait clairement pour des fous. J’allais voir mon ami, Neil Janin, mon mentor en Business qui avait oser embaucher un ancien moine dans la Firme avec… Bozidar Djelic qui devint ministre des finances de Serbie fin 2001 puis Vice-président de Serbie…. et Tidjane Thiam qui allait devenir président du second assureur anglais Aviva Plc avant de devenir CEO du premier : Prudential … lui à qui les groupes du CAC 40 français avaient promis au mieux d’être directeur de la division Afrique de leur groupe !!! Neil, toujours à l’affût d’une idée nouvelle avait embauché tout ce monde, j’allais quelques années plus tard le retrouver dans un vaste financement du West bank. je le retrouvais dans son grand bureau d’angle sur les Champs Elysées aprés le DotCom Crack.
» – C’est la crise Neil… (il se penche la fenêtre) – Je ne vois pas de queues devant les boutiques d’alimentation ! – C’est sûr que vu comme ça ! Bon, on part Neil ! – Tu es sûr de toi ? – J’ai levé 250 000 euros… – Prends ton temps je te paierai jusqu’à ce que tu te lances… – J’y vais ! – Fonce… Good luck guy ! » On a foncé et on n’a plus jamais lâché.
Aujourd’hui tout le monde est devenus « spécialiste du digital »… mais combien sont réellement de « digital natives » comme Bezos ? Comme nous ? Sous les effets d’annonce, qui a vraiment compris ce qui se passait réellement avec la mutation digitale : un phénomène économique, social, politique, religieux… un changement de croyances et une mutation de l’ADN culturel de l’humanité…
Depuis 20 ans nous avons travaillé pour à peu prés tous les acteurs de l’industrie du livre de ce pays : les grandes surfaces culturelles, les libraires, les éditeurs et groupes d’édition, leur syndicats … en neuf, en occasion. Et aussi pour de multiples business. J’ai aussi écrit 13 livres, je crois le livre fondamental pour la survie de mes enfants. Nous en reparlerons. Revenons il y a un millénaire, avant-hier.
Il y a un millénaire : des market places en Bourgogne-Champagne
L’histoire commence en Bourgogne Champagne au 12ème siècle. Un noble, Thibauld II, Comte de Champagne, écoute attentivement son ami Bernard de Clairvaux et suit ses conseils. : « Ouvre généreusement tes greniers aux pauvres dans les périodes de famine, Visite les hôpitaux, renonce au luxe » en échange Thibault comble de bienfaits le monastère de Clairvaux, qui lui doit sa reconstruction en 1135. Forte de ses 152 abbayes filles, Cîteaux avec ses fermes devient la première world company européenne après un autre empire monastique, celui de Cluny qui domine le commerce de la laine du nord de l’Ecosse au sud de l’Italie d’alors.
Cluny, autonome de Rome et hors du monde (« privilèges exhorbitants », ex-orbitu), fondée en 909 devenu rapidement un empire économique à l’échelle du monde médiéval. A son apogée en 1109 -mort de Hugues-abbé, Cluny est à la tête de 1184 maisons, dont 883 en France, 99 en Allemagne et en Suisse, 54 en Lombardie, 31 en Espagne et 44 en Angleterre et d’un empire économique immense.
Cîteaux et ses filles, fondée en 1098 selon la même Règle de Benoit d’Aniane que Cluny. Moine à Cîteaux à l’âge de 22 ans, père abbé à 25, Bernard de Clairvaux fonde cinq abbayes avant d’avoir atteint sa trentième année. Ce sera bientôt un empire de 525 abbayes à la fin du XIIè siècle, comme Cluny dont il critiquait la richesse fonctionnant en circuit fermé et réinvestie en statues (l’art roman) au lieu de réinvestir dans l’économie au profit des pauvres.
L’économie domaniale rurale des villages se déverse sur les marchés des villes naissantes de Bourgogne-Champagne au coeur de ces empires et de l’Europe.
Thibauld a une idée. Alors que la plus grande foire de l’époque, la foire du Lendit, attire tous les mois de juin, de la Saint Barnabé à la Saint-Jean à Saint Denis au nord de Lutèce (9 cube …) pendant deux semaines, des marchands venus du monde entier … Thibauld veut faire de sa région au cœur de la mondialisation d’alors, un hub des échanges, une market place. Les marchés de Troyes, Lagny, Provins et Bar-sur-Aube ouvrent donc six fois par an, à raison d’une ou deux fois dans chacune des quatre villes, durant environ cinquante jours. Les « places de marché tournantes » accélèrent les échanges et les transactions. Mais comment éviter les rançons et les taxes (du duc de Bercy qui exige que chaque riche tel Saint Martin donne la moitié de sa tunique au pauvre !)
Foires de Champagne gravure du XIXè siècle
Thibauld va créer des sauf-conduits qui évitent que les marchands ne soient taxés en arrivant avec des cuirs de Cordoue, de la laine d’Angleterre, des draps de Flandre, de l’acier d’Allemagne, des étoffes d’Italie ou des soies de Byzance. En clair, tout marchand attaqué ou rançonné de taxes locales aura affaire au Comte ou au roi. En 1148, histoire de rappeler que parmi les qui orant, qui pugnant, qui laborant (« ceux qui prient, ceux qui se battent, ceux qui labourent », selon la tripartition de la société féodo-vassalique), Thibauld joint le geste à la parole. Sécurisation des transactions. Libéralisation des taxes. Suppression des barrières douanières. On écrit à l’époque :
» A leur arrivée dans sa ville de foire, le comte offre aux marchands bon hébergement et toutes les commodités nécessaires à l’exercice de leur métier: entrepôts, halles, étals, places et rues réservées. Au lieu de tentes dans la prairie, il leur assure le logement dans des maisons qu’il loue ou même fait construire dans les quartiers qu’il détermine. Le comte se préoccupe aussi d’assurer une capacité hospitalière suffisante pour accueillir les marchands, souvent épuisés par les fatigues de la route «
Mais comment savoir ce qu’on achète via une lettre de crédit et à distance dans une époque de grande diversité des poids et mesures ? Il faut bien rationnaliser et unifier les monnaies, standardiser les poids pour établir des contrats fiables et un cours des prix. Pour fluidifier les échanges et les accélérer. On adopte donc des étalons uniques : l’aulne » et » le poids de Troyes « , des systèmes de mesure ancêtres du système anglais actuel.
Le changeur et sa femme, par Quentin Metsys (Louvain en 1466-1530)
A l’époque les marchands sont aussi banquiers et comme le crédit à la consommation est interdit pas l’Eglise, il est assuré par les juifs qui deviennent les changeurs de monnaies sur le « banc » qui a donné la « banque ». L’or se virtualise, via la lettre de crédit qui évite de la transporter sur des routes dangereuses, le marché accélère.
Bientôt toutes les villes d’Europe d’alors sont liées aux market places de Bourgogne-Champagne, en Angleterre, aux Pays Bas, en Allemagne, en Italie du nord, en Catalogne, en Aragon et jusqu’à Compostelle :
Source : L’identité de la France, Fernand Braudel, 1988
La naissance du marché fait naître les cours du blé, de la laine, du vin, des bêtes… le pricing comme ici sur les places de Londres et le comté du Somerset :
Les marchands s’organisent en corporations qui organisant un métier et une profession et en standardisent et contrôlent les règles ( nos business processmodernes) :
Corporation de marchands médiévaux
L’affaire marche bien. Thibauld est fait Comte Palatin par le roi Louis VI qui lui confie l’éducation de son fils Henri VII sacré à Reims. Ce même Henri lui rapporte de Jérusalem une lettre : « L’amitié que du fond du cœur nous portons à ton fils nous invite à t’écrire de cette terre lointaine pour la gloire de ton nom. Le dévouement dont il n’a cessé de témoigner à notre égard et ses gracieux services lui ont gagné notre faveur. Nous te faisons cette lettre pour t’exprimer notre reconnaissance et ajouter à l’affection que tu lui portes » Via les croisades, la Globalisation s’étend à l’Orient. D’Italie déferlent en Champagne les soies d’Inde et les biens venus de toute la méditerranée.
On commence à rêver des mondes lointains. Sur les sculptures de l’abbatiale de pèlerinage de Vézelay en Bourgogne on imagine les peuples de la terre, dont les gens de la vallée du Gange qui auraient des têtes de chiens (voir ci-dessous). La Globalisation est née.
Les sculptures du tympan de l’abbatiale clunisienne de Vézelay (Bourgogne), typiques de l’architecture et de la sculptures clunisienne. A ces ornements Cîteaux préférera les chapiteaux simplifiés à l’extrême avec des ornements en feuille d’eau et l’absence totale de représentation animale ou humaine.
Le commerce est au-dessus de la haine, Thibauld fait la paix avec son vieil ennemi le comte de Flandre : Thierry d’Alsace et marie son fils puiné Henri avec Laurette de Flandre en 1143. Le commerce du drap vaut bien une union ! La paix est la base du capitalisme.
Quand il meurt on ne loue pas le capitaliste mais celui qui a donné à manger au pauvre ; on écrit alors :
« Thibaud était le père de l‘orphelin, le défenseur de la veuve, l’œil de l’aveugle, le pied du boiteux ».
En quelques décennies, la Champagne est devenue le cœur de l’économie capitaliste mondialisée de l’époque, la market place de l’Europe.
L’économie de marché et l’égalité démocratique
L’époque n’a rien d’obscure, elle est même passionnante. Car le centre de l’économie monde (Braudel) du capitalisme est aussi alors aussi le carrefour des échanges et de production des idées. La plus grande figure juive, Salomon ben Isaac, Rachi de Troyes meurt en 1105. Il vient d’écrire la première traduction commentée de la Torah-Bible qui reste le seul témoin de nombreux mots en vieux français (1500 !). Le moine franciscain Nicolas de Lyre (1270-1340), lit Rachi dans le texte original hébraïque et s’en inspire pour son propre commentaire biblique.
Pendant que les moines inventent la première société productiviste égalitaire (le noble y vaut le serf)… à faire pâlir Fidel Castro ; et le capitalisme rationnel et méthodique des premières world companies que sont Cluny et Cîteaux; un capitalisme basé sur la seule augmentation du capital (« les moines ne possèdent absolument rien en propre » selon la Règle de saint Benoît), ils traduisent de l’arabe Aristote et discutent traduction avec les rabbins du centre de l’économie monde, à Troyes en Champagne. Les moines défrichent l’Europe qui devient un grenier à blé.
L’acte fondateur de la Révélation n’est-il pas la sortie des hébreux d’Egypte ? La Bible juive ne demande-t-elle pas de libérer l’esclave, le serviteur et même l’âne à chaque shabbat pour leur rendre leur âme (« le septième jour il se reposa » est la traduction de shabbat vaynafash : le shabbat il retrouva son âme : nefesh), Mieux, de libérer les esclaves définitivement tous les sept ans, année du jubilé ? Ces idées fondatrices, via les évangiles et les chrétiens qui savent à l’époque qu’ils sont les fils des juifs (les moines sont en contact étroits avec les rabbins en Troyes), vont travailler la culture.
C’est bien au moyen âge qu’éclot la première globalisation économique qui s’épanouira après 1492 à la Renaissance (voir mon livre Manuel de survie spirituelle dans la Globalisation, 2007 et ma conférence avec Jacques Attali et Michel Drancourt pour l’Association de amis de Pierre Teilhard de Chardin au Collège des Bernardins, en 2008 )
Le Moyen âge qui voit éclore le grand commerce international est la première société à utiliser des énergies non humaines, c’est, selon moi le grand bouleversement depuis Rome. Un bouleversement idéologique avant d’être technologique, il y avait des marchands à Rome, des riches et même des machines à vapeur dans le monde antique (Cf l’héliophile inventée par Héron à Alexandrie) … mais la bipartition de la société entre esclaves et hommes libres ne posait pas de problème éthique à un Platon. Hors advient au Moyen Age un étonnant retournement des croyances par rapport au travail. A Rome l’otium (qui a donné « l’oisiveté » mais qui est la médiation de l’homme libre vaquant aux affaires politiques de la cité) prime sur le negocium (attribué aux commerçants et aux esclaves).
Manuscrit de l’Abbaye de Citeaux, XIIè siècle,
Moralia in Job, ms170, fol59
Il suffit de regarder évoluer le calendrier rythmé par les « travaux des mois » à Vezelay dans les médaillons autour du Tympan pour comprendre que le temps humain est devenu celui de la production agraire valorisé comme participation à la création du Maître du temps et de l’histoire. Le temps de l’homme devient celui du marché.
Les pèlerins qui partent de Vézelay à Compostelle y découvrent le moulin mystique (ci-dessous), à travers le temps la création de l’homme, la farine et le pain, son travail, est assumée par l’Eternel hors du temps, Créateur de l’homme.
Ora et labora, la société monastique bénédictine (selon la Règle de Benoit de Nursie père des moines d’Occident, mort en 480) prie et travaille pour participer à l’œuvre de Création du Dieu judéo-chrétien. Ce retournement des valeurs va conduire à attribuer une valeur positive au travail pour Dieu, (c’est-à-dire pour rien) et à la création de richesses pour la société via l’échange des biens qui prend une valeur en soi. Ce changement d’épistémé est à la naissance de l’économie de marché, que Max Weber attribue au capitalisme calviniste dans l’Ethique protestante et l’esprit du capitalisme, mais il es connexe de la naissance de la démocratie moderne. Je m’explique.
A Rome l’esclavage issu des conquêtes lointaines fournit une main d’oeuvre à bon marché. A partir du VIIème siècle, à cause de la disparition des grandes voies romaines (il est plus facile de réduire à l’Etat d’objet un slave que son cousin !), à cause de croyances du judéo-christianisme, les énergies hydrauliques et animales dont les moines sont les grands promoteurs (cf. l’eau à l’Abbaye de Fontenay) à cause des innovations technologies (le collier d’épaule qui démultiplie l’efficacité énergétique musculaire des bêtes)… à cause des croyances surtout et de l’idée que les hommes se font d’eux-mêmes, l’esclavage s’efface en Europe septentrionale. On passe d’une économie domaniale locale au grand commerce international, de la friche au capitalisme citadin, le serf n’est pas une chose (res) comme l’esclave à Rome, il peut s’affranchir en rejoignant des « zones franches » (d’où nos « franchises »).
L’égalitarisme humain plus tard formulé sous la notion de « Droits de l’homme » nait donc en même temps que l’économie de marché au Moyen Age. Cet égalitarisme démocratique médiéval est remarqué par Tocqueville dans son introduction de La démocratie en Amérique :
» Je me reporte pour un moment à ce qu’était la France il y a sept cents ans: je la trouve partagée entre un petit nombre de familles qui possèdent la terre et gouvernent les habitants; le droit de commander descend alors de générations en générations avec les héritages; les hommes n’ont qu’un seul moyen d’agir les uns sur les autres, la force; on ne découvre qu’une seule origine de la puissance, la propriété foncière. Mais voici le pouvoir politique du clergé qui vient à se fonder et bientôt à s’étendre. Le clergé ouvre ses rangs à tous, au pauvre et au riche, au roturier et au seigneur; l’égalité commence à pénétrer par l’Église au sein du gouvernement, et celui qui eût végété comme serf dans un éternel esclavage, se place comme prêtre au milieu des nobles, et va souvent s’asseoir au-dessus des rois. (…) Les rois se ruinent dans les grandes entreprises; les nobles s’épuisent dans les guerres privées; les roturiers s’enrichissent dans le commerce. L’influence de l’argent commence à se faire sentir sur les affaires de l’État. Le négoce est une source nouvelle qui s’ouvre à la puissance, et les financiers deviennent un pouvoir politique qu’on méprise et qu’on flatte. Peu à peu, les lumières se répandent; on voit se réveiller le goût de la littérature et des arts; l’esprit devient alors un élément de succès; la science est un moyen de gouvernement, l’intelligence une force sociale; les lettrés arrivent aux affaires. »
Car la prodigieuse création de richesse médiévale (le PIB par habitant passe de 405 à 704 euros entre l’an 1000 et 1500 en Europe Occidentale selon les données sur le temps long d’Angus Maddison – L’économie mondiale : une perspective millénaire, OCDE, 2001).
EVOLUTION DU PIB PAR HABITANT
ENTRE 400 (CHUTE DE ROME) ET 2000
Source : Angus Maddison – L’économie mondiale : une perspective millénaire.
Mais cette formidable explosion de la richesse à partir du Moyen Age qui lance l’économie de marché moderne n’aurait pu fonctionner si la valeur créée s’était concentrée seulement entre quelques mains.
Dès le XIIème siècle, avec la montée de la pauvreté dans les villes, les économistes franciscains réfléchissent à la répartition de richesses. Comment établir le « bonheur citadin », le royaume de Dieu sur cette terre ? Par le partage de la richesse (Voir Didier Long, Capitalisme et christianisme une tumultueuse histoire, Bourin éditeur 2009).
La combinaison de l’économie de marché avec la démocratie, c’est-à-dire un étagement du pouvoir qui se subsidiarise à Gênes ou Venise en même temps quetous les habitants du plus humble au Doge (prostituées comprises à Venise !) possèdent une partie de la richesse de la ville sous forme « d’actions » (et non pas le pouvoir partagé de quelques happy fews nés citoyens comme à Athènes). Cet égalitarisme démocratique conjoint à l’économie de marché sera désormais le gage de la croissance et de la durabilité de ces deux facteurs en interactions. J’ai étudié cela pour les Républiques italiennes à Gênes (Voir Didier Long, Mémoire juives de Corse, Lemieux 2016) et Venise.
Comme le note Schumpeter :
« La coïncidence de la naissance de l’humanisme avec la naissance du capitalisme (médiéval) est très frappante. Les humanistes étaient initialement des philologues, mais – et ceci fournit un excellent exemple d’un phénomène évoqué précédemment – ils ont rapidement envahi les domaines de la morale, de la politique, de la religion et de la philosophie. »
« En brisant le cadre féodal et en troublant la paix intellectuelle du manoir et du village (étant entendu que, même dans un couvent, il y a toujours eu largement matière à discussions et à querelles) et aussi, notamment, en ouvrant un espace social à une nouvelle classe qui s’appuyait sur ses performances individuelles réalisées sur le terrain économique, le capitalisme a attiré sur ce terrain les fortes volontés et les esprits vigoureux. » (in Capitalisme, socialisme et démocratie, 1942)
Joseph Alois Schumpeter
(1883, Triesch, Moravie- 1950, Salisbury, Connecticut)
Des Républiques Etats italienne à la Silicon Valley, la migration des places de marché vers l’Ouest
La suite est connue. La « Civilisation du Capitalisme » selon le mot de Joseph Schumpeter dans un livre fondamental : Capitalisme socialisme et démocratie, s’est étendue d’ « économie monde » en « économie monde », de place de marché en place de marché, comme l’a montré Fernand Braudel jusqu’à nous.
A la Renaissance, époque où l’Espagne de l’ancien monde conquiert terre sur terre jusqu’en Hollande, Gênes sera la première République de marchands et de banquiers qui ne possèdera que des comptoirs[2] (la Banca di san Giorgiopossède la Corse et la Crimée, comme je le montre dans mon dernier livre). Venise sera ensuite la première place de marché off-shore, c’est-à-dire une ville sans arrière-campagne pour fournir ses marchés, construite sur l’eau… la dématérialisation commence à cette époque ! Anvers, Amsterdam, Londres, New York au XXè siècle. L’histoire de la « Civilisation du capitalisme » est celle de ses déplacements successifs des marchés… toujours plus à l’ouest !
Amazon est probablement seulement le dernier avatar d’une économie-monde qui s’est déplacée toujours plus vers l’ouest, de la Méditerranée à l’Atlantique, à la Californie, terre promise des pionniers calvinistes. En attendant… l’Inde.
Des market places de Bourgogne à AWS, Business as usual
Comme ses homologues du XIIème siècle Amazon est une market place mondiale agrégeant un maximum de clients et de fournisseurs sous la forme d’un modèle de Porter bien connu.
Comme les marchands médiévaux fuyant les impôts locaux, via les sauf conduits de Thibault, Amazon optimise ses taxes locales en s’installant au Luxembourg ou dans Etats comme l’Oregon à faible taxation. Il n’y a rien de bien neuf à cela. Les Princes des Etats locaux ont toujours rencontré des marchands internationaux depuis Venise au XIIème siècle…
Datacenter d’Amazon dans l’Oregon où les taxes locales sont de 0% comme dans le Delaware
Comme les market places médiévales s’étendaient à l’ensemble du monde connu en une première globalisation Amazon est un global player qui vous livre d’un entrepôt en Angleterre un opus fondamental perdu dans le garage d’un particulier au fond des US sur la banque à Gênes au XVIè siècles (ça m’est arrivé !),
Thibault pensa d’abord à ses clients dans un monde féodal où l’on respecteit plus le pouvoir de l’épée des ducs que celui de l’argent… Bezos, décrit comme sans grande empathie, est obsédé par le service de ses clients. Tout est mesuré chez Amazon par le premier item de ses valeurs : « Client obsession ».
Comme les market places médiévales étendaient les heures d’ouverture des marchés de l’époque Amazon est ouvert 24/24 par rapport aux commerçants traditionnels,
Comme les market places médiévales voyaient varier le cours du blé ou de la laine en fonction de la météo et des hivers plu sou moins rigoureux, des naufrages… Amazon change ses prix en fonction de l’offre, de la demande, du trafic, des stocks disponibles, des délais d’approvisionnement, du pricing des concurrents, des historiques… c’est juste une question d’accélération. Grâce au » Competitive Monitoring Tool » (CMT), Amazon change ses prix 2,5 millions de fois chaque jour, soit 1 700 modifications à la minute quand le leader mondial de la grande distribution, l’américain Wal-Mart modifie 54 600 fois ses prix en… un mois
Comme Thibault Comte de Champagne accueillait dans ses granges les petits marchands venus de loin, le comte Bezos héberge en ses entrepôts le petit éditeur et ses stocks…
On pourrait multiplier les comparaisons à l’infini.
A première vue Amazon est une market place qui vend de tout…
Comme chacun le sait le business model d’Amazon est constitué de vente directe (48% du CA aux US et 40% en Europe) et de vente sur Market Place ? cette dernière se répartissant entre la vente en drop shipping (livraison directe à partir du fournisseur) et de la vente en confié stockée à charge du fournisseur (20% du CA, commissions comprises, en Europe et 25% aux US selon nos estimations).
Amazon ne va pas devenir le seul retailer ou un retailer dominant comme se plait à le faire croire le bruit de fond du buzz de l’ « Internet Funky Business ». Quand on regarde le TOP 100 des retailers US, Amazon reste une ligne à la fin du TOP 10 d’une liste de 100 marques physiques (voir ici ) pour la plupart massivement click and mortars. Les ventes en lignes à 385 milliards de dollars en 2016 représenterait 8 % du commerce total, Amazon représentera entre un quart et un tiers de cette activité, si l’on en croit le cabinet eMarketer.
50 % des clients du nouvel ensemble Fnac Darty viendront bien sûr encore chercher leurs commandes et surtout des conseils en magasins (Rappelez-vous du catalogue comparatif d’appareils photos de la fnac de monsieur Hessel ! de la revue Epok, etc…) dans des offres de plus en plus complexes (70 000 livres paraissent par an en France avec une fragmentation des ventes colossale- pas de 80/20, complexité des produits techniques toujours nouveaux, etc…).
Mais Amazon comme la plupart des pure click players est l’aile de papillon qui est en train de déstabiliser complètement le retail. Beaucoup de magasins physiques fermeront dans les prochaines années. Resteront des marques clic & mag’ qui auront inventé la distribution de demain : un Macy’s réalise 6,2 bn$ en 2015 soit 30% de ses ventes en ligne, un Urban outfitter 40 % pour 1,26 bn$ , un Victoria Secret 1,68 bn$ : 13 %, Zara : 7%… en BtoB un Grainger 4,09 bn$ pour 41%, etc… il reste une place pour le physique mais complètement autrement, intégré dans une relation client sans couture (Cf Apple). A condition que le magasin apporte un réel service, pas seulement en terme d’entreposage local comme le racontent les pétitions de marchands de chandelles (Frédéric Bastiat) : car Amazon Flex va rapidement ubériser le last mile qui faisait une partie de la valeur des retailers ! Mais en terme de valeur ajoutée d’expérience de marque et de service.
Même en voyage, un secteur massivement passé sur Internet, et sinistré du côté des agences, ‘seulement’ 40 % du business du voyage total dans le monde passe par les OTA’s. Un Havas voyage avec son Travel planner a compris que l’agent de voyage avec ses prospectus du XXè siècle cède la place à un Travel planner, une application mobile partagée entre un client/ prospects et un agent de voyage qui s’assied à ses côtés et non de l’autre côté d’un bureau en formica…
Amazon est donc l’aile de papillon qui déstabilise tout le retail.
Mais en réalité Amazon est devenu bien plus qu’une « Usine à tout vendre ». C’est devenu une infrastructure mondiale semblable à celle d’un Etat qui possède des routes, des centres logistiques, maîtrise les transports, organise le commerce, etc… En plus du programme logistique Premium, d’amazon services qui remonte du BtoC vers le Bto B aussi bine pour les artisans que pour l’Automotive Aftermarket (voir ci-dessous)…
… l’uberisation du last mile via Amazon Flex est la dernière grappe d’innovation qui va bouleverser la donnedu retail :
…. Cependant, AWS, Amazon web service reste LE levier déterminant.
… but ‘Behind the scene’ : AWS, la market place du Cloud
AWS est une bibliothèque de services web en Cloud créée en 2006, il y a seulement dix ans. Ce réseau virtuel est un Internet dans l’Internet et le cœur de la guerre que se livre les GAFA’s. Il a d’abord servi à Amazon à assurer sa propre activité puis il a été ouvert au public B to B.
Source : Bloomberg
Le grand public ne connait pas ces services B to B aux acronymes bizarres : Amazon Elastic Compute Cloud (EC2)5 : serveurs virtuels, Amazon Virtual Private Cloud 6 : VPN virtuel, Amazon Elastic Block Store (EBS), Amazon Simple Storage Service (S3)7 : stockage de base, Amazon Glacier : stockage basé sur les services web, Amazon S3 : spécifique pour les données rarement accédées, Amazon Simple Queue Service (SQS)8, Amazon Simple Email Service (SES)9, : envoi en nombre et transactionnel d’emails, Amazon Mechanical Turk (Mturk) : unités de travail distribuées, Alexa Web Services : stats de traffic, Amazon Associates Web Service (A2S) : accès aux données produit d’Amazon et des données de commerce électronique, Amazon Historical Pricing : accès à l’historique de pricing d’Amazon pour ses affiliés, Amazon Flexible Payments Service (FPS) : micropaiement. Amazon DevPay, Amazon SimpleDB, Amazon AWS Authentication, Amazon Fulfillment Web Service : API pour les vendeurs pour expédier des articles vers et depuis Amazon, Amazon CloudFront12 : CDN, AWS Management Console (AWS Console).
Source : Bloomberg
La Nasa, Netflix, LinkedIN, Spotify, Uber, SAP, Lamborghini ou la CIA… sont des clients d’AWS. Et aussi d’innombrables entreprises autour de vous.
AWS a été créé pour répondre à la demande de services informatique d’Amazon avant de devenir un business ouvert à d’autres clients.
Au premier trimestre 2016, AWS a réalisé un chiffre d’affaires de 2 566 M$ soit un peu moins de 10 % du CA d’Amazon, mais AWS représente presque deux tiers du résultat d’exploitation de la firme.
C’est en réalité le cœur du réacteur de la market place Amazon, une market place avec enchères et contre-enchères, achat à l’avance de bande passante à taux fixe et à bas prix contre achat dernier moment en fonction de l’utilisation au prix fort….
La demande en bande passante sur Internet est par nature variable, parfois cyclique (ex soldes) ou imprévisible (ex : attentat déclenchant de nombreux téléchargement d’un article). Prévoir supposait auparavant d’allouer des lames de serveurs couteuses pour ne pas se trouver en défaillance.
Face à cela est né le cloud computing de type AWS. L’objectif est d’adapter la bande passante à la demande au plus juste, AWS fonctionnant comme des utilities à réponse élastique au lieu d’installer une infrastructure (datacenters, salle blanche, redondance des infras en cas d’accident et de perte de données, etc…). Cette bande passante on-demand, permet aussi de ne pas trop investir à l’avance et d’adapter ses factures à la demande, le client adoptant le cloud computing pour remplacer ses couts fixes (CAPEX) par des coûts variables (OPEX). Le TCO serait réduit en moyenne de 70% en 5 ans.
Source : Amazon
Il s’agit donc d’une market place de bande passante. Du côté d’Amazon, l’économie d’échelle permet par massification de réduite les coûts qu’un client pourrait avoir de la part d’un hébergeur plus petit.
AWS est très performant du fait de sa répartition globale et de sa logique de « client obsession ». Il permet de rapprocher les objets (exemple l’image de la couverture d’un livre) d’un utilisateur. Ce qui est vital quand on fait du e-Commerce : au-delà d’un certain seuil de temps de téléchargement de page, disons 2’’, on perd beaucoup de chiffre d’affaire ; ou de la recherche en autocomplétion : le serveur répond à chaque lettre tapées par le mot ou l’expression statistiquement le plus probable… Client first.
D’autre part une entreprise internationale comme une marque de mode peut avoir besoin de beaucoup de bande passante à un moment de la journée et en quelques minutes (pas en heures !) sur un fuseau horaire US, puis en Europe, puis Asie, la répartition de charge (load balancing) à partir du siège est complexe à monitorer et suppose une infrastructure globale. AWS a commencé à répondre à cela pour Amazon puis pour ses clients.
D’autre part, le responsable e-Commerce d’un site de mode a plus de temps à passer à mettre en avant ses produits, les décrire les pricer qu’à gérer les soutes du web. Ce qu’AWS, qui n’est évidemment plus le seul Cloud même s’il est de loin le leader ! lui propose.
Google, qui ne détient que 4% de part de marché dans ce domaine contre 31 % à Amazon, vient d’annoncer l’ouverture de douze datacenters dans l’Oregon et à Tokyo multipliant ainsi par quatre ses Google Cloud Platform (GCP) avec des prix annoncés 15 et 41% moins chers ! Impossible de faire tourner Brain et les grosses capacités de calcul requises par le machine learning, devenu le cœur de son business model, ou l’Internet de objets (IoO)… sans infra à la hauteur !
Le génie d’AWS, quand les autres hébergeurs se lançaient dans une guerre des prix pour réduire des conditions déjà négociées avec des machines de plus en plus neuves est d’avoir créé trois types d’offres.
On le voit donc, c’est moins de vendre qui intéresse désormais Amazon que de posséder les infrastructures de vente de tout ce qui est « comoditisable » (c’est pourquoi Amazon pousse sa Market place) ; de fournir les infrastructures qui permettent à Amazon, d’être l’opérateur du marché, comme un Etat possède les autoroutes et moins comme un marchand.
Les GAFAS’s bientôt des Etats ?
Si l’on en croit ses détracteurs et souvent concurrents, Amazon est en tête de ces « compagnies prédatrices », de ce capitalisme qui a décidé de tuer la démocratie. Se moquant de l’intérêt général et de la fiscalité, pratiquant des méthodes proches de celles décrites par Emile Zola dans ses entrepôts en y ajoutant un zeste de délation tout en se moquant des acquis sociaux… sans oublier d’écraser froidement ses fournisseurs.
J’ai montré que la « Civilisation du capitalisme », à laquelle je crois et participe activement comme CEO et entrepreneur, avait produit Amazon et qu’il n’y avait pas de différence majeure entre AWS et les places de marché médiévales.
J’ai aussi montré que ce capitalisme intensif était né en même temps que l’égalité démocratique à partir d’une très vielle idée juive de libération des esclaves (célébrée lors de la fête de Pessah et à chaque Shabbat par les juifs religieux !) pour créer une société de femmes et d’hommes libres.
Des livres
En devenant un produit sur un marché au début du XXème siècle le livre se préparait déjà à être « amazoné » un siècle plus tard (to be amazoned, signifie : « assister à la fuite de ses clients vers l’ogre de Seattle »). Les gens oublient que le livre avant d’être un business étaient « des lettres envoyés par des amis d’un coté à l’autre de la Méditerranée » comme dit le philosophe allemand Peter Sloterdijk et que les livres se vendaient par 300 depuis la Renaissance et non pas à 70 000 exemplaire comme les best-sellers… Que peut-on attendre pour l’humanité d’une idée qu’ont 70 000 personnes à la fois ?
Entrez dans une synagogue un samedi matin et vous verrez que le rabbin chante en lisant dans un gros rouleau en parchemin que tout le monde suit dans la joie. Ce que ces gens acclament ce n’est pas le troupeau de moutons qui a servi à composer ce rouleau de parchemin mais bien évidement la parole qu’ont prononcé il y a quelques millénaires ce qui est rapporté et qui résonne dans leur coeur. Heureusement, l’âme ne s’achète pas chez les marchands.
Le fait que les gens ne lisent plus m’inquiète donc plus qu’Amazon pour l’histoire de l’humanité.
Supercapitalisme
Il est facile d’accuser l’économie de marché de la faillite de l’Etat providence des Etats nations nés à la Renaissance. Amazon n’est qu’un avatar des market places millénaires. La réalité c’est que dans les années 80 comme l’a analysé le secrétaire à l’emploi de Bill Clinton, la Globalisation des marchés et l’hypercapitalismea émergé sous l’influence de 3 facteurs : les nouvelles technologies, la globalisation des flux d’informations, la déréglementation. Consommateurs et investisseurs ont trouvé un monde d’opportunités qui ont accéléré le zapping des investissements vers les cibles les plus attractives. En aval de la chaîne, le fast retailing permettait via le Global sourcing de payer peu cher et de détenir moins longtemps des produits fabriqués à bas coût en Asie. L’hypercapitalisme, cet immense chantier sans promoteur, n’était en réalité pas possible sans l’hyper consommation, il est donc bien un choix des masses et donc de chacun de nous.
La conjonction de ces deux phénomènes dus à la Globalisation et aux technologies, joints à une déréglementation des Etats sous Reagan et Tatcher, dans une perspective économique à la Milton Friedman (« La solution c’est le marché, le problème c’est l’Etat ») a abaissé les barrières d’échanges, donc optimisé le marché tout en réduisant les protections locales (« le Global c’est le local sans les murs »). Les entreprises ont alors chercher à ne pas baisser en compétitivité dans cet hyper capitalisme et Reich les accuse d’avoir corrompu les Etats par le lobbing, pour simplement survivre (perdre deux points de marge pour des raisons écologiques signifie le renvoi pour un CEO congédié par ses actionnaires…).
L’accélération du poids des marchés financiers par rapport aux transactions réelles est mécaniquement corrélée avec un enrichissement des plus riches et un appauvrissement de la classe moyenne qui est le moteur de l’égalité démocratique et du capitalisme de marché. Dans les années 1930, l’industriel Henry Ford, grande figure du capitalisme américain alors social, estimait que pour être « admissible », l’échelle des salaires au sein d’une entreprise ne devait pas dépasser 1 à 40. On en est à 400. Nous en sommes là.
La solution n’est probablement pas « plus ou moins d’Etat » (Le laisser-faire ou le socialisme) mais » Comment l’Etat? » dans un monde sans frontière où comme l’avait prévu Schumpeter les masses délaissent la figure du Prophète-entrepreneur et où le chacun pour soi devient l’ultime forme de la liberté ainsi que l’avait prédit Tocqueville. La démocratie devenant non pas le souci partagé de l’intérêt général mais le système le plus efficace, et accepté par tous, via l’impôt, pour ne jamais y penser. Hors toute la civilisation médiévale naît du souci du prochain et non pas de l’indifférence à son sort.
Dans ce cadre, nous ne savons pas si l’intérêt général mondial (mais qui le représenterait ?) prendra le pas sur l’ordre marchand. Dans l’histoire du monde, rapporte Schumpeter, le Prince a toujours dominé le banquier, Charles Quint sur Jacob Fugger, l’intérêt général sur l’intérêt privé. Amazon et plus généralement les GAFAs globalisés mettent en évidence la transformation de l’économie de marché et nos choix.
Bill Gates, Mark Zuckerberg ont compris qu’il n’y avait de gloire en ce monde pour le marchand devenu prince que dans la création de valeur au bénéfice du plus grand nombre. Un jour, on demanda à Bezos quel était le moteur qui l’avait poussé à accomplir tant de choses. L’enfant adopté à l’âge de 4 ans par un émigré cubain[3] eut cette réponse : « J’ai réalisé que je suis extrêmement motivé par les gens qui comptent sur moi. J’aime que l’on compte sur moi. »
Les GAFAs sont devenus des sortes d’Etats mondiaux. Jeff Bezos, de marchand est devenu le Prince d’une place de marché mondialisée. Il entendra probablement un jour le conseil de Bernard de Clairvaux à Thibault II comte de Champagne :
« Ouvre généreusement tes greniers aux pauvres dans les périodes de famine, visite les hôpitaux, renonce au luxe »
Dans son livre « Give », Bill Clinton disait qu’il avait toujours vu les gens qui donnaient avec un sourire et un bonheur sans égal sur leur visage. Si les GAFAs deviennent des Etats, pourront-ils se maintenir sans la démocratie ? Et si non comment y participeront-ils ?
« Le Capitalisme peut-il survivre? » demandait Schumpeter, et il répondait : » Non, je ne le crois pas », écrit Schumpeter. La limite du capitalisme n’est pas son échec et ses crises pour Schumpeter mais son succès. Pour Schumpeter les entrepreneurs sont les seuls capables d’impulser l’innovation capables de produire la destruction créatrice permanente. Ces héros, « révolutionnent la routine » . Mais il pensait que la concentration des entreprises, qui renforce la stabilité du capitalisme, entraînait aussi leur bureaucratisation, à l’origine de leur disparition.
Bezos a quitté ses confortables primes de tarder à Wall- Street pour se lancer dans l’aventure Amazon. Il est plus proche d’un Christophe Colomb que des patrons salariés de cette fin de « Civilisation du capitalisme ». Au lieu de les aider à « trouver un bon job » nous devrions plutôt raconter cet histoire à nos enfants …
[1] Les 20 suivants parmi lesquels Alibaba, CenturyLink, Fujitsu, HPE, NTT, Oracle, Orange, Rackspace, Salesforce, VMWare… en ont, eux, 27 %.
[2] Voir au sujet de la place de Gênes dans le commerce international à la Renaissance: Didier Long, Mémoires juives de Corse, Lemieux Editeur 2016.
[3] Le père biologique de Jeff Bezos, Ted Jorgensen, était un artiste de cirque et champion de monocycle. Sa mère Jackie s’est remariée avec un émigré cubain, Mike Bezos, qui l’adopta et lui donna son nom à l’âge de 4 ans. Il l’apprit à 10 ans.